Histoire d’une catastrophe

Tchernobyl

Ceux qui me connaissent et me suivent depuis des années le savent, j’ai eu la chance de visiter de nombreux lieux couverts de mystère et pour certains d’une part d’ombre. J’ai déjà visité plusieurs endroits où l’empreinte de la mort a laissé une trace indélébile. Ils ne se visitent évidemment pas avec la même approche que des lieux plus » classiques » et nécessitent, d’après moi, une part d’empathie supplémentaire.

Évidemment j’entends parler de Tchernobyl, comme beaucoup d’entre vous, depuis mon enfance. La catastrophe de 1986 a marqué les esprits et, bien qu’étant trop jeune à l’époque des faits, la prononciation de ce nom évoque beaucoup de choses dans mon esprit. Cette partie de l’Ukraine, délimitée par une zone d’interdiction de 30 Km autours de la centrale, incarne aujourd’hui le résultat du combat de l’Homme contre la bête qu’il a engendré. Ce paysage de désolation doit être un marqueur fort dans une prise de conscience globale. Ici la mort joue rôle de témoin dans la transmission de notre patrimoine aux générations futures. Le témoignage de cette nuit du 26 avril 1986, où l’Homme dans sa folie pure a pensé pouvoir défier les lois de la nature.

Le témoignage justement, est d’après moi l’un des intérêts principaux de la photo, témoigner de ce que seuls certains sont amenés à voir, à oser voir. J’ai donc mûrit un projet de visite à Tchernobyl pour voir, pour ressentir et surtout pour mieux comprendre ce que les médias ont défini comme étant la pire catastrophe nucléaire de l’humanité.

Mais un voyage de ce type ne se planifie pas en 2 jours et il faut appréhender l’ensemble des paramètres qui régissent cette zone, peser le pour et le contre, évaluer les dangers.
C’est après plusieurs années, et une rencontre fortuite de la vie, que je prends l’initiative de concrétiser ce projet. J’ai partagé ce voyage avec 5 de mes compagnons d’exploration et, bien qu’étant habitué à des visites en comité plus restreint, je dois avouer que j’ai apprécié leur présence. La visite de la zone de Tchernobyl est à mon sens quelque chose qui se partage, dont on a besoin de parler, comme pour exorciser un mal et se déculpabiliser d’une responsabilité collective. Mille questions viennent lorsque ces paysages désertiques se dévoilent.

Ce voyage est l’un des moments forts de ma vie et j’ai donc souhaité marquer ce reportage photo par un article complet. Je retracerai pour les plus curieux l’ensemble des évènements qui ont menés à cette catastrophe. Je vous parlerai aussi de l’après Tchernobyl et des conséquences que cette catastrophe a eu, directement ou indirectement, sur le monde.

Je vous partagerai ensuite ma propre vision, un constat honnête sur ce que j’ai pu voir. Je raconterai avec mes mots ce que j’ai ressenti lors de mon passage dans cette zone qui a marqué notre époque et couté tant de vies.

LA CONSTRUCTION

UN DÉPART CHAOTIQUE

La centrale nucléaire de Tchernobyl, moins connue sous son nom officiel de centrale nucléaire V.I. Lénine, est construite à partir de 1971 le long de la rivière Pripyat, à 14 Km au nord-ouest de la ville de Tchernobyl. Son implantation est décidée dans cette zone dites «à l’écart des grandes villes». Pourtant la frontière Biélorusse ne se trouve qu’a 16 Km et les villes de Kiev et de Mazyr à peine à 150 Km. Cette zone représente également un intérêt stratégique puisque la rivière Pripyat, affluent du fleuve Dniepr, permet de fournir une source naturelle d’eau, qui sera utilisée pour le refroidissement des réacteurs.

En 1972, alors en pleine construction, un discussion à lieu à Kiev concernant le choix du type de réacteur à implémenter. Le nouvellement nommé directeur Viktor P. Bryukhanov se positionne en faveur de réacteurs de type PWR (Pressurized Water Reactor) mais la communauté scientifique de l’époque défend l’utilisation d’un nouveau type de réacteur, le RBMK. Il expliquera au ministère de l’énergie ukrainien que ce type de réacteur émet une quantité bien plus importante de radiation que les PWRs. Toutefois, sous la pression de la communauté scientifique et sous couvert de rentabilité, il est décidé d’utiliser les RBMK.

Mise en service à partir de 1977 avec le démarrage des réacteurs numéro 1 et 2, l’expansion de la centrale continue avec le démarrage du chantier de construction des réacteurs numéro 3 et 4 en 1975. Leur exploitation commence respectivement en 1981 et 1983 et la centrale connait alors sa puissance maximale puisque la catastrophe entrainera l’arrêt de la construction des réacteurs numéro 5 et 6.Il est important de noter que, d’après un rapport confidentiel de 1979 signé par le directeur du KGB de l’époque, Iouri Andropov, les «divers chantiers de construction réalisant le bloc n°2 de la centrale atomique de Tchernobyl mènent leurs travaux sans aucun respect des normes, des technologies de montage et de construction définies dans le cahier des charges.»

De même, en 1983, l’acte de mise en exploitation expérimentale du réacteur n° 4 de la centrale de Tchernobyl est signé alors que «toutes les vérifications n’avaient pas été achevées.»

De plus, et bien que ceci n’est jamais été prouvé, une partie non négligeable du budget dédié à la centrale aurait été détourné. Les conséquences sont désastreuses et obligent les responsables du chantier à s’équiper, pour certains équipements sensibles, auprès de fournisseurs yougoslaves dont la qualité des produits laisse vraisemblablement à désirer.

La Technologie

Erreur de stratégie

Au plus fort de sa production, en 1983, la centrale comptait 4 réacteurs de technologie soviétique, les fameux RBMK-1000 (Reaktor Bolshoy Moshchnosti Kanalniy ou Réacteur de Grande Puissance à Tubes de Force).
Ce modèle de réacteur était initialement utilisé à des fins de production de plutonium, combustible dédié à un usage militaire. Il sera ensuite adapté à un usage de production électrique pour le domaine civil.
Le RBMK-1000 fait à l’époque la fierté des Russes. Aboutissement du programme nucléaire soviétique, sa conception repose sur l’emploi d’eau légère (par opposition à l’eau lourde, plus chère à produire) pour le refroidissement et de graphite comme modérateur (substance permettant une réaction en chaine optimisée).

Cette technologie rend possible l’utilisation d’un uranium peu enrichi, et donc moins cher, comme combustible. Le désavantage en revanche, et ce qui causera la perte de la centrale de Tchernobyl, c’est que ce type de réacteur devient très instable à basse puissance.
Cette technologie de réacteur permet d’atteindre une production de 1500 mégawatts par réacteur, ce qui reste de nos jours une prouesse inégalée.

En 1985, l’Union soviétique dispose de 46 centrales nucléaires en fonctionnement dans le pays, dont 15 fonctionnent avec des réacteurs de type RBMK-1000, générant chacun une puissance électrique de 1000 mégawatts. La part du nucléaire en Union soviétique représente alors environ 10% de l’électricité produite, et la centrale de Tchernobyl fournit 10% de l’électricité en Ukraine.
L’image de fond de cette rubrique est issue de la vidéo Youtube de Carl Willis, visible sur son site web.

La Fierté

Mentalité Soviétique

A l’époque, la centrale nucléaire de Tchernobyl fait la fierté de l’URSS. Alors en plein guerre froide, la maîtrise de la puissance nucléaire symbolise dorénavant la force d’un pays. Les scientifiques et ingénieurs sont soumis à de durs objectifs : produire le plus possible, à tout prix, afin d’asseoir la supériorité soviétique. Il ne fait doute que cette pression exercée pour favoriser l’expansion du nucléaire est en partie responsable des échecs successifs rencontrés dans la catastrophe de Tchernobyl. La culture de l’atome s’est inscrite comme un modèle économique et social exemplaire en URSS.

On appelle alors l’atome le «travailleur pacifique». La ville de Pripyat en est d’ailleurs l’exemple. Destinée à l’hébergement des travailleurs de la centrale de Tchernobyl, cette ville jouit d’un développement économique et social particulier grâce à la valorisation de la production d’énergie nucléaire.

On pouvait d’ailleurs à l’époque lire : «C’est la centrale atomique de Tchernobyl, actuellement en construction, qui à donné naissance à la ville» comme pour vénérer l’atome. On peut d’ailleurs toujours lire, en lettres géantes posées sur le toit d’un immeuble de la place principale de Pripyat : «Faites de l’atome un travailleur, pas un soldat».

Personne ne craignait l’atome à l’époque. Le gouvernement en faisait la propagande et, puisque finalement très peu de personnes comprenaient le fonctionnement de l’énergie atomique, le seul point de jugement était le progrès social que son exploitation installait. Voila pourquoi tout le monde souhaitait partager cette fierté et participer à ce nouvel élan.

Un témoignage anonyme raconte :

Svetlana Alexievitch

La supplication: Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse

Nous étions fiers de vivre à l’ère atomique. Je ne me souviens pas qu’on ait eu peur du nucléaire…Et le premier secrétaire d’un comité du parti, c’était qui ?

C’est un homme ordinaire avec un diplôme d’études supérieures ordinaire, généralement ingénieur ou agronome. Certains avaient fait, en plus, des études à l’école supérieure du parti. Sur les radiations, je ne savais que ce qu’on nous avait dit au cours de défense civile. Je n’avais jamais entendu parler de césium dans le lait, ni de strontium.

La Fierté

Mentalité Soviétique

La construction de Pripyat, la neuvième «atomgrad» de Russie débute en 1970. La création de la ville de Pripyat est un vaste chantier visant à assurer l’hébergement des employés, ainsi que leur famille, de la future centrale de Tchernobyl.

Elle se devait d’être la ville modèle, vitrine de la toute puissance de l’URSS. Elle possédait, pour l’époque, des logements de bonne qualité. Toute la ville était goudronnée, les équipements culturels étaient nombreux : complexes sportifs, cinémas, théâtres et même un parc d’attraction.

Comme toutes les villes nouvelles de l’époque, Pripyat est construit sur un modèle d’autosuffisance.
Toutes les infrastructures nécessaires à la vie sur place étaient présentes. Ainsi on y trouvait plusieurs écoles de tous niveaux, des crèches, une école de musique, de nombreux cafés, restaurants et magasins, des hôpitaux et même une maison de la culture.

Le bien être des habitants étant un point d’intérêt majeur, les paysages alentours seront préservés au maximum, afin notamment d’isoler visuellement la centrale de la ville. Aussi, de nombreux espaces verts sont créés dans la ville afin de maintenir ce capital bonheur. Une conception tout à fait nouvelle dans l’URSS de l’époque.

La ville s’étend sur plus de 130 Km2 et comptait, à la veille de l’accident, plus de 49 000 habitants. Plus de 9000 personnes travaillaient alors dans la centrale.

Pour se faire une idée de l’activité de cette ville voici quelques statistiques datant d’avant la catastrophe :

Transports
  • Gare : 1 (Yanov Railway Station)
  • Bus : 3 compagnies pour 167 bus
Sport
  • Salle de sport : 10
  • Stand de tir : 10
  • Stade : 2
Education
  • Collèges : 15
  • Lycées : 5
Culture
  • Maison de la culture energétique : 1
  • Cinéma : 1 pour 1220 sièges
Santé
  • Hôpitaux : 2
  • Polyclinique : 1
Aménagements
  • Parc : 1
  • Zones de jeu pour enfants : 35
  • Arbres : 18 136
  • Rosiers : 33 000
Commerces
  • Magasins : 25
  • Cafés : 15
  • Restaurants : 12
  • Capacité de services : 5 535 couverts
Consommation Journalière
  • Pain : 10 tonnes
  • Produits laitiers : 28 tonnes
  • Viande : 7 tonnes

La Catastrophe

Rapide Descente Aux Enfers

Il est compliqué de comprendre la catastrophe nucléaire de Tchernobyl dans son intégralité, tant techniquement par les technologies employées, que politiquement par le nombre des enjeux qui entrent en compte. Une théorie de base est aujourd’hui bien assise et représente les raisons les plus probables qui ont conduit à l’accident du réacteur numéro 4.
Il est décidé début 1986 d’effectuer une série de tests dans la centrale de Tchernobyl afin de prouver qu’en cas de coupure électrique la puissance restante dans la turbine suffirait à relancer les pompes à eau, qui assurent le refroidissement, de manière autonome.
La réalisation de ce test en production est aujourd’hui considérée comme la première erreur critique ayant conduit à la catastrophe. Ce type de test doit, d’après les experts, être réalisé avant la mise en production du réacteur. Il est également bon de noter que ce même test avait déjà échoué sur le réacteur numéro 3 quelques semaines avant.

Initialement prévu dans la journée du 25 avril, cette expérience a été retardée par le centre de régulation de l’énergie atomique de Kiev suite à la panne d’une autre centrale nucléaire, affaiblissant le réseau électrique ukrainien.

L’accident a été classé au niveau 7, soit le niveau le plus élevé sur l’échelle internationale des événements nucléaires. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) fixera plus tard la catastrophe de Fukushima au niveau 5.

25 avril – 23h04

L’ordre est donné par le centre de régulation de reprendre les tests. La responsabilité de ces opérations est donnée au contremaître Anatoly Dyatlov, ingénieur réputé en physique nucléaire. Le test initial prévoyait que la puissance du réacteur soit stabilisée à 700 mégawatts.

25 avril – 23h10

Début de l’opération. La puissance du réacteur est progressivement baissée.

26 avril – 00h05

La puissance de 700 mégawatts est atteinte, mais, contre tout attente, la puissance du réacteur continue de chuter jusqu’à atteindre un taux anormalement bas de 500 mégawatts, puis de moins de 200 mégawatts. Leonid Toptunov, ingénieur en nucléaire et responsable du régime du réacteur tente une manœuvre pour tenter de remonter le niveau du réacteur, mais il insère les barres de commande du réacteur trop loin, entraînant un chute brutale de la puissance du réacteur à 30 mégawatts. Une puissance aussi basse entraîne le phénomène dit « d’empoisonnement du réacteur au xénon ». Le xénon accumulé dans le réacteur absorbe les neutrons limitant le réacteur à une puissance de 200 mégawatts que les opérateurs, malgré leur manœuvres, n’arriveront jamais à atteindre.

26 avril – 01h03

Pour tenter de pallier à cette puissance anormalement limitée, les opérateurs tentent d’augmenter la puissance du réacteur en activant deux pompes supplémentaires du circuit de refroidissement. Cela à pour effet d’augmenter la température dans les échangeurs de chaleur. Pour tenter de réduire encore la température, le débit d’eau injectée par les pompes est encore augmenté jusqu’à dépasser les limites autorisées par le règlement. Le système détecte une anomalie et tente un arrêt d’urgence du réacteur, sans succès puisque toute mesure de sécurité avait été désactivée pour les tests. Contre toute logique Anatoly Dyatloy décide de maintenir l’expérience en changeant les paramètres. Les opérateurs s’y opposent mais subissent des menaces de la part du contremaître. Craignant pour leur emploi et leur confort ils se plient à la décision.

26 avril – 01h23

La seconde phase du test est enclenchée, les vannes d’alimentation en vapeur de la turbine sont fermées. Les générateurs diesel démarrent automatiquement et atteignent leur puissance optimale en 40 secondes. Le but du test était de voir si pendant ce laps de temps l’inertie des alternateurs du réacteur suffiraient à alimenter les pompes du système de refroidissement.

26 avril – 01h23

Le débit d’eau dans le circuit de refroidissement baisse de manière critique, entraînant la formation de bulles dans le liquide. Le phénomène physique en résultant entraîne une brutale hausse de la puissance du réacteur.

26 avril – 01h23

Les opérateurs, devant la criticité de la situation, décident en mesure d’urgence d’abaisser les barres de contrôle du cœur du réacteur. Mais la hausse brutale de la température à fait fondre les gaines utilisées par ces barres de contrôle, limitant leur descente à 1m50 au lieu des 7m habituels.

26 avril – 01h24

Un phénomène de radiolyse de l’eau se produit, conduisant à la formation d’un mélange d’hydrogène et d’oxygène réputé pour être hautement explosif. Quelques explosions mineures de déclenchent, explosant les barres de contrôle du réacteur. En quelques secondes à peine la puissance du réacteur est multipliée par 1000 entraînant une explosion majeure, soulevant la dalle de béton et recouvrant le réacteur. 1400 tonnes de béton et de graphite hautement radioactif sont projetés en l’air retombant sur le cœur du réacteur en le facturant. Un incendie sans précédent se déclenche et le trou béant du réacteur laisse apparaître une lumière de couleur bleue et orange. Le réacteur est dorénavant exposé à l’air libre, laissant fuir une quantité phénoménale de particules hautement radioactives dans l’air.

Les sacrifiés de la patrie

Gestion de la crise

Lorsque l’alerte est donnée, la première chose à maîtriser est l’immense incendie qui ravage le réacteur.

Le risque principal est que l’incendie occasionne trop de dégâts à la structure du réacteur et que celui ci s’effondre, laissant la matière en fusion entrer en contact avec l’eau des parties souterraines. Au contact de l’eau, le corium en fusion risque de provoquer une immense explosion, dispersant une quantité astronomique de matière radioactive. Les pompiers de la caserne de Tchernobyl étant situés au plus proche sont les premiers à intervenir.

Ils ne disposent d’aucun équipement, puisque appelés pour un simple incendie dans la centrale, ni d’aucune formation spécifique et tentent de lutter contre un feu dont l’origine nucléaire empêche toute extinction par voie d’eau. Ils subissent de graves radiations et meurent pour la plupart, certains dans les heures qui suivent.

La femme d’un des pompiers témoignera :

Svetlana Alexievitch

La supplication: Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse

Nous étions jeunes mariés. Dans la rue, nous nous tenions encore par la main, même si nous allions au magasin… Je lui disais : « Je t’aime. ». Mais je ne savais pas encore à quel point je l’aimais…. Je n’avais pas idée…
Nous vivions au foyer de la caserne des sapeurs-pompiers où il travaillait. Au premier étage. Avec trois autres jeunes familles. Nous partagions une cuisine commune. Et les véhicules étaient garés en bas, au rez-de-chaussée. Les véhicules rouges des pompiers. C’était son travail. Je savais toujours où il était, ce qui lui arrivait.
Au milieu de la nuit, j’ai entendu un bruit. J’ai regardé par la fenêtre. Il m’a aperçue : « Ferme les lucarnes et recouche-toi. Il y a eu un incendie à la centrale. Je serai vite de retour. » Je n’ai pas vu l’explosion. Rien que la flemme. Tout semblait luire… tout le ciel… Une flamme haute. De la suie. Une horrible chaleur. Et il ne revenait toujours pas. La suie provenait du bitume qui brulait. Le toit de la centrale était recouvert de bitume. Plus tard, il se souviendrait qu’ils marchaient dessus comme de la poix. Ils étouffaient la flamme. Ils balançaient en bas, avec leur pieds, le graphite brûlant… Ils étaient partis comme ils étaient, en chemise, sans leurs tenues en prélart. Personne ne les avait prévenus. On les avait appelés comme pour un simple incendie. »

Grace au courage et à la ténacité de ces hommes l’incendie sera finalement maîtrisé dans la journée du 26 avril, notamment à l’aide d’hélicoptère qui, tout en survolant le réacteur, sont chargés de le recouvrir de sable et de plomb afin de l’étouffer. Les personnes à bord subiront parmi les plus hauts niveaux de radiations, la plupart connaîtront une issue fatale.

Une fois l’incendie maîtrisé les techniciens de la centrale prennent pleine conscience du problème. Le réacteur est fissuré et le graphite au contact du magma dégage des colonnes de fumée radioactive. La décision est prise d’étouffer complètement le cœur du réacteur en le recouvrant d’une solution contenant un mélange de sable, d’argile et de plomb. Le seule moyen est de recourir à nouveau aux hélicoptères et la tache, en plus d’être potentiellement fatale, demande un niveau de précision extrême. Il s’agit de larguer d’une hauteur de 200m des sacs contenant le mélange dans un trou d’une taille inférieur à 10m.

La dose de radiation reçue, même à 200m de hauteur est extrême, plus de 100Sv/h (l’unité de mesure est le sievert par heure). A titre d’exemple, la dose naturelle de radiation d’une ville comme Paris est d’environ 0,30 µSv/h (micro sievert), ils auraient donc absorbé une dose de radiation 300 millions de fois supérieure à la normale.

Au même moment d’autres soucis d’une importance majeure sont également traités. Tout d’abord le graphite hautement radioactif, propulsé à des centaines de mètres aux alentours ainsi que sur le toit de la centrale, doit être retiré et jeté dans le trou béant du réacteur numéro 4 avant que le sarcophage ne soit construit. Des robots télécommandés sont d’abords envoyés pour cette besogne, mais le taux de radiations était tellement élevé qu’ils sont tous tombés en panne en quelques jours.

Des hommes sont alors envoyés en lieu et place des robots. Ceux-ci n’avaient pour simple équipement que des tenues qu’ils confectionnaient eux-mêmes à la main à partir de plaques de plombs. Ils avaient un maximum de 90 secondes avant de recevoir une dose mortelle de radiation. D’après les témoignages la plupart attrapaient à la main les morceaux de graphites. Le niveau de radiation subit était tellement important qu’une fatigue extrême les envahissaient immédiatement après leur passage sur le toit, et ce malgré les infimes 90 secondes qu’ils y passent.

L’autre problème majeur venait de la fissure de la dalle de béton soutenant le réacteur ainsi que de l’eau utilisée par les pompiers pour tenter d’endiguer l’incendie. L’eau s’est accumulée dans les sous structures menaçant d’une part la perte du contrôle des 3 autres réacteurs (tous reliés pas ces souterrains), mais aussi et surtout un danger imminent en cas de rupture de la dalle. En effet au contact de l’eau le corium entraînerait un dégagement d’une large quantité d’hydrogène suivit d’une explosion d’une intensité gigantesque. Estimée aujourd’hui à plus de 1000 fois la puissance de la bombe d’Hiroshima, cette explosion aurait rayé de la carte la capitale biélorusse, Minsk, et aurait rendu inhabitable une grande partie de l’Europe. Je vous invite d’ailleurs fortement à lire la Lettre du Professeur Nesterenko à Wladimir Tchertkoff, Solange Fernex et Bella Belbéoch à ce sujet.

Une première tentative consistant à fermer les vannes souterraines et à installer un système de pompage fut réalisée par 3 hommes dont la mission était ni plus ni moins que de plonger dans l’eau hautement radioactive. Leur mission fut un succès mais la mesure était hélas insuffisante. Conscient de ce danger les responsables décident de nommer une équipe composée de plus de 400 mineurs des régions de Moscou et du Bonbass. Tous volontaires puisque bien souvent mal avisés, ils s’attaquent à la réalisation d’un tunnel de plus de 167m menant directement sous le réacteur.

La construction de ce tunnel est un chantier faramineux pour lequel se relaient des hommes 24 heures sur 24. Les conditions de travail y sont abominables, aussi bien par le niveau de radiation (plus de 2 Sv/h à la sortie du tunnel, soit environ 6 millions fois la dose de radiation naturelle d’une ville comme Paris) que par les températures extrêmes dans les tunnels creusés. Les hommes y possédaient peu ou pas de protections. Le plupart travaillaient torse nu et sans protection respiratoire. Certains décéderont de l’inhalation d’une seule poussière radioactive.

La stratégie première est d’installer un circuit de refroidissement à l’azote directement sous la dalle de béton afin d’en assurer le refroidissement. Le projet changera en court de route, jugé trop cher et peu utile et le réseau creusé sera finalement comblé avec du béton pour supporter la dalle fissurée.
Tous ces hommes, qui pour la plupart y ont laissé la vie et la santé, sont appelés les liquidateurs.